NB : cette série de deux articles sur le sens au travail reprend et commente l’excellent ouvrage “Redonner du sens au travail - une aspiration révolutionnaire” de Thomas Coutrot et Coralie Perez.
Dans notre précédent article de blog, nous avons défini le sens au/du travail à travers le prisme de la sociologie. Les analyses des études régulières de la DARES ont également permis d’y apporter une mesure objective et précieuse, avec comme conclusion que la majorité des salarié·e·s ne cochent aujourd’hui pas toutes les cases du sens au travail.
Dans notre précédent article de blog, nous avons défini le sens au/du travail à travers le prisme de la sociologie. Les analyses des études régulières de la DARES ont également permis d’y apporter une mesure objective et précieuse, avec comme conclusion que la majorité des salarié·e·s ne cochent aujourd’hui pas toutes les cases du sens au travail.
Quels sont donc les facteurs qui expliquent ce manque de sens ? Et quelles sont les réponses des entreprises et des salarié·e·s, et leurs impacts ?
Accrochez vos ceintures, c’est tout l’objet de cet article 😃.
Les facteurs de conflits
De nombreux éléments sont venus réduire la liberté au travail et ainsi le pouvoir d’agir des salarié·e·s. Plus qu’une liste exhaustive, voici quelques grandes tendances et leur impact sur le sens au travail.
Le management financiarisé
Contrôle, supervision, reporting, objectifs chiffrés, process … la quantification des tâches et du travail a donné naissance à une vision abstraite du travail depuis le milieu des années 1990.
C’est l’avènement du management par les chiffres et du lean management, confirmé et renforcé la financiarisation de l’économie. La gouvernance des entreprises s’aligne sur les intérêts essentiellement financiers des actionnaires.
Ce type de management aura eu pour conséquence un déclin de l’autonomie au travail, mesuré dès 1998 après un regain au début des années 1990 (d’après les analyses des auteurs, basées sur les données de la DARES).
Les objectifs chiffrés affaiblissent donc sensiblement le sens au travail : suivant que les objectifs sont modifiables ou non, le sentiment de pouvoir développer ses compétences passe par exemple de 80% à 60% des sondé·e·s.
Les changements d’organisation et la sous-traitance
Plus les salarié·e·s ont connu de changements (fusion, réorganisation…), moins ils trouvent de sens à leur travail (d’après l’enquête DARES de 2013).
On peut y voir un effet pervers et négatif sur le sens au travail des réorganisations incessantes, souvent réalisées sous la pression des actionnaires, investisseurs ou autres agences de notation.
De même, les salarié·e·s en sous-traitance ont un risque nettement accru de trouver peu de sens à leur travail. L’externalisation et l’ubérisation à outrance ne font que renforcer ce sentiment.
Le conflit environnemental
Comment trouver du sens au travail quand celui-ci détruit la nature ? Beaucoup de salarié·e·s font aujourd’hui face à un véritable conflit éthique environnemental, ou autre “remord écolo”.
Ainsi, plus de 30% des sondé·e·s estiment que leur travail a parfois voire souvent / toujours des conséquences environnementales négatives.
Les atteintes environnementales réduisent non-seulement la soutenabilité écologique donc économique de la production, mais ont aussi un fort impact psychologique sur le travail.
La réponse des entreprises
La question du sens au travail n’est pas nouvelle, et les entreprises ont depuis évolué en termes de pratiques managériales, de gouvernance, et d’engagement sociétal. Est-ce suffisant ?
La RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises)
Entreprise à mission, B Corp, politiques RSE de plus en plus fournies, critères ESG…
Les chiffres sont pourtant clairs : la présence d’une politique RSE n’améliore pas les statistiques du sens au travail. L’utilité du travail (être utile aux autres) est même moindre dans les entreprises ayant mis en place une politique RSE, et le conflit éthique environnemental y est plus important. Cela tient sans doute à la taille et aux domaines d’activité des grandes entreprises actuelles (dont la RSE est avant tout une contrainte règlementaire et boursière), les employés ne s’y trompant pas – voir les contradictions évidentes entre le discours RSE et la réalité, ou le greenwashing / impactwashing de certaines entreprises.
Et les sociologues de conclure : “ces constats ne permettent certainement pas de conclure à un impact positif de la RSE sur le sens au travail”.
La gouvernance et l’organisation du travail
Face à la gouvernance actionnariale et au “néo-taylorisme digital”, il apparait urgent de réformer en profondeur le mode de gouvernance des entreprises et de transformer l’organisation du travail :
- Codétermination : impliquer davantage les parties prenantes dans la gouvernance. En Allemagne et dans les pays scandinaves, il n’est pas rare d’avoir jusqu’à 50% des droits de vote au conseil d’administration aux mains des représentants des salarié·e·s. Et les études pan-Européennes y notent davantage d’autonomie au travail. Socialiser le capital, en impliquant salarié·e·s, actionnaires et représentants extérieurs de la société (à l’image du fonctionnement des SCIC) est une autre piste intéressante.
- Organisation responsabilisante : d’autres modèles s’opposent à un lean management très rigide, comme les entreprises libérées. Il s’agit de permettre aux salarié·e·s de regagner en autonomie opérationnelle, professionnelle voire stratégique. Une telle « sociocratie » favoriserait nécessairement l’émancipation du travail.
Les initiatives bottom-up
Face au manque de sens au travail et aux réponses plus qu’imparfaites des entreprises, les travailleur·euses se (re)mobilisent via différentes stratégies :
1) Désertion individuelle
La “grande démission” est une réalité, initiée bien avant le Covid.
La “grande démission” est une réalité, initiée bien avant le Covid.
Entre 2015 à 2019, les métiers en tension (définis comme ayant du mal à recruter) sont passés de 25% à 60%.
De même, 70% des dirigeants disent avoir des difficultés de recrutement, liées non seulement au manque de qualifications mais aussi et surtout aux conditions de travail (horaires, éthique).
En termes de mobilité professionnelle, trouver peu de sens au travail augmente de 30% la probabilité d’en changer.
2) Prise de parole collective
En démissionnant, bon nombre de travailleur·euses espèrent forcer le pouvoir d'agir de celles et ceux qui restent. Pas étonnant donc que les syndicats s’emparent aujourd’hui de plus en plus de cette question du sens au travail.
Sur un autre registre, la création des CAE (Coopérative d'Activité et d'Emploi), ces collectifs politiques dans lesquels se regroupent des freelances, montre un nouveau mode de salariat sans emploi.
3) Engagement dans l’économie des communs
3) Engagement dans l’économie des communs
Entre 2005 et 2020, le nombre de coopératives a été multiplié par 2, notamment grâce au développement des SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif, qui intègrent des objectifs sociétaux et leurs bénéficiaires dans la gouvernance).
Autant de personnes qui choisissent de rejoindre l’économie sociale et solidaire, l’intérêt général.
Et cela rejoint entièrement la mission de Demain : catalyser et développer le sens au travail à travers la possibilité de concilier l’emploi au service d’intérêts privés, et le travail au service de l’intérêt général.